Les inégalités hommes-femmes et l'artisanat en Inde, interview de Shalini Sinha, WIEGO

 

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En Inde, les femmes artisanes font partie des couches les plus pauvres : leur travail n’est pas reconnu alors qu’elles contribuent de manière positive aux revenus du ménage et plus généralement de la société. Pour mieux comprendre les enjeux, nous avons interviewé Shalini Sinha, spécialiste du travail domestique et informel au sein de l’Organisation Wiego (Woman in informal Employment Globalizing and Organizing).

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les femmes qui travaillent en Inde ?
Lorsqu’on parle des femmes pauvres qui travaillent en Inde, on parle d’un groupe très vulnérable et marginalisé. Un grand nombre d’entre elles, 97%, travaille dans le secteur informel, nous entendons qu’elles travaillent depuis leur domicile ou dans la rue, parfois dans des décharges d’ordures ou au domicile d’autres personnes. Dans le secteur informel, l’emploi est instable. Si elle ne trouve pas d’endroit pour vendre ou si la police la chasse, la femme ne gagnera rien ce jour-là et personne n’aura à manger dans son ménage. Il n’y a donc aucune garantie, il n’y a pas de sécurité sociale, pas d’assurance si elle tombe malade ou si quelqu’un dans sa famille tombe malade. Une femme qui travaille à domicile est complètement dépendante des intermédiaires qui lui apportent le travail. Si elle exprime la volonté d’être mieux rémunérée, on lui dira qu’une autre sera prête à faire le travail à ce prix-là.

Mais est-ce vraiment spécifique aux femmes ?
Les hommes sont aussi concernés par le travail informel, qui concerne 91% d’entre eux. Mais les femmes sont encore plus discriminées : elles sont l’échelon le plus bas dans la chaine du travail, elles sont mal payées, moins bien payées que les hommes et leur liberté de mouvement en dehors de la maison ou du village est limitée. Tout ça fait qu’elles sont « prisonnières » d’une situation qui les force à accepter ces emplois mal payés et n’offrant aucune protection. En plus de cela, il y a le facteur générationnel. De mères en filles, elles subissent la malnutrition, le manque d’éducation et le manque d’attention. Donc la peur est très réelle ! Peur de la communauté, peur de ce que pensent les autres, peur de se rebeller, …

De plus, il y a d’autres problèmes liés au fait d’être femme. En plus de leur travail, elles portent de très lourdes responsabilités. Si quelqu’un tombe malade à la maison, c’est leur responsabilité. Elles doivent récolter l’eau, nettoyer la maison, s’occuper des enfants,… Elles travaillent toute la journée et ce travail n’est pas considéré comme une activité économique.

Et dans le secteur de l’artisanat, est-ce la même réalité ?
Oui, la plupart des artisanes aussi restent invisibles et isolées, car elles travaillent depuis la maison. Leur propre famille ne reconnaît pas leur contribution au ménage. Nous avons pourtant de nombreuses études qui prouvent que les artisanes qui travaillent à domicile contribuent grandement à l’éduction de leurs enfants, aux besoins quotidiens de la famille. Ces femmes qui travaillent à domicile sont aussi celles qui absorbent les chocs du marché ou de l’économie.

Quels sont les principaux défis auxquels les artisanes sont confrontées ?
Le plus grand défi est d’obtenir une rémunération juste pour le travail accompli. Le long travail qu’elles effectuent est souvent trop peu payé. Il existe aussi de nombreux mécanismes qui viennent diminuer leur salaire : certaines femmes sont liées par des dettes ou des sommes qui leur ont été prêtées lorsqu’elles étaient dans le besoin. L’intermédiaire peut aussi abuser des rejets. Par exemple, sur une commande de 500 pièces, il n’en accepte que 300. Dans ce cas, ce sont les artisanes qui assument la perte.

Le deuxième problème auquel elles font face, ce sont les compétences, surtout en matière de design. En effet, les marchés changent très rapidement et les clients internationaux, bien qu’ils souhaitent travailler de manière éthique avec les producteurs, demandent une grande flexibilité dans la production. Il est donc important d’investir dans le renforcement de leurs compétences en matière de design, dans leur capacité à comprendre les marchés, les tendances…

Le commerce équitable est-il une bonne alternative à promouvoir ?
Au cœur du commerce équitable se trouve le respect et la dignité du producteur. Or, si c’est la norme pour le commerce équitable, pour bien d’autres entreprises ce n’est pas du tout le cas. Souvent la femme ou le travailleur en bas de la chaine de production n’est pas reconnu et est quasi invisible. Mais les organisations de commerce équitable ont aussi des choses à apprendre des entreprises traditionnelles en matière de business plan, de management et de production à grande échelle. Je pense donc qu’en insérant les principes du commerce équitable dans les entreprises conventionnelles, cela mènera à plus d’égalité entre homme et femme, plus de reconnaissance pour les artisanes, plus de dignité et de meilleurs salaires.

Etes-vous optimiste pour l’avenir des artisanes en Inde ?
L’Inde est un très grand pays et globalement nous constatons un fort développement, de plus en plus de femmes sont scolarisées, font de meilleures études, les femmes osent sortir de la maison et deviennent plus fortes au niveau économique, elles prennent de plus en plus de place. Cependant, nous sommes toujours confrontés à des problèmes d’insécurité, d’abus sexuels et de violence. Ce qui me pousse à être optimiste c’est le fait qu’il y a de plus en plus d’organisations de femmes qui parlent de ces problèmes et qui interpellent le gouvernement. Mais la route est longue et sinueuse et nous avons encore beaucoup d’obstacles à surmonter.

Propos recueillis par Ronny Hermosa